Oui, un jour, la promesse sera accomplie. Un jour, justice sera faite. Un jour, le temps des exils sera révolu. Un jour, tout ce qui nous brise, tout ce qui nous rend esclaves, tout ce qui nous met en incapacité d’exister, un jour, tout cela, sera du passé. Oui, un jour, « la parole de bonheur » sera accomplie, comme nous le dit Jérémie (Jr 33, 14). Voici la leçon majestueuse du premier testament ; la leçon magistrale de toute la tradition prophétique. Un jour, la promesse, enfin, accomplie. Non pas une espérance creuse et facile. Non pas une utopie vaseuse et une aliénation de plus. Non pas une dérive dans l’irréel et un peu d’opium pour supporter le temps présent. Non. Une promesse pour relever la tête et pour remettre debout. Une promesse qui nous engage et qui nous mobilise. Une parole d’avenir. Une parole qui crée de l’avenir, parce qu’on a envie d’y croire, de lui donner raison, de se laisser porter par elle, stimuler, animer, transformer.
Il est bon de relire ces textes un premier dimanche de l’avent et d’inscrire ainsi toute l’année d’Eglise à venir sous le signe de cette espérance incroyable.
Ce que Noël va nous raconter, ce vers quoi l’avent nous porte, n’est pas la réalisation detous nos rêves de justice les plus fous. Jérémie parle d’un « germe » de justice à venir. La justice dont il parle restera encore à venir, en devenir, en chemin. Cette justice reste encore une promesse. C’est ainsi que Noël ne rend pas caduque la promesse de Jérémie, mais ravive cette promesse, lui redonne de l’éclat, la rend encore plus crédible.
Cette fête de Noël que nous allons vivre dans quelques semaines, cette fête célèbre la naissance d’une nouvelle manière de penser Dieuet de croire en Dieu : un Dieu qui ne reste pas dans sa bulle, qui ne garde pas jalousement sa majesté et sa divinité, mais un Dieuqui se fait proche, qui se fait l’un de nous, qui se fait frère, selon la belle expression du père Christian de Chergé, qui sera béatifié samedi prochain avec les 18 autres religieux, religieuses et prêtres, martyrs en Algérie. « Le Verbe s’est fait frère ».
La nouveauté du Christ, c’est la nouveauté d’un Dieu qui nous rejoint là où nous sommes, tels que nous sommes, dans nos heures sombres comme dans nos instants de grâce, dans nos mangeoires comme dans nos maisons, dans le désordre et la laideur de nos vies, comme dans la beauté dont nous sommes capables. C’est un Dieu qui se fait frère, et qui nous montre par là que nous sommes plaisants à ses yeux, et c’est un Dieu qui nous permet à notre tour de nous trouver plaisants. « Le Verbe s’est fait frère », pour nous illuminer de son Amour.
La nouveauté du Christ, c’est aussi la nouveauté d’un Dieu qui rend visibles ceux qui ne le sont pas, ceux qui n’étaient plus. Les pages de nos Evangiles constituent un véritable parcours de la reconnaissance. Celui qui n’était plus rien, se retrouve enfin debout. L’Evangile enseigne cette reconnaissance et redonne une visibilité sociale à ceux que nous ne voulions plus voir, le laid, le hors-norme, le disparate, le marginal. C’est dans ce sens aussi que Dieu est un Dieu de justice, qui répare, relève, réanime, ressuscite. Jésus, son Evangile, son Eglise sont là pour dire et pour redire encore, que chacun à une infinie valeur, aux yeux de Dieu. « Le Verbe s’est fait frère », pour nous ouvrir les yeux et nous permettre de voir en chaque personne un frère et une sœur.
La nouveauté du Christ, c’est aussi la nouveauté d’un Dieu qui ne reste pas les bras croisés devant la souffrance, le mal, la désespérance. Jésus le Christ est l’emblème de cette action transformatrice de Dieu dans le monde. De cette action par laquelle Dieu lutte pour rendre le monde plus habitable, plus juste, plus accueillant, de rendre l’existence plus épanouissante. « Avoir foi en Dieu, ce n’est pas une simple croyance intellectuelle, c’est un acte héroïque, c’est un enrôlement personnel au service de la justice, de la vérité, de la beauté, de l’amour. Dieu est un effort, un appel, à transfigurer le réel. » Oui, Dieu, c’est aussi l’homme révolté. Salutaire révolte, celle par laquelle nous relevons la tête, celle par laquelle nous refusons les résignations trop rapides, celle par laquelle nous oeuvrons, nous aussi, à cette transfiguration du réel. Salutaire révolte, ultime bastion de l’espérance, aussi. « Le Verbe s’est fait frère », pour s’engager aux côtés de tous ceux qui ploient sous le poids de la vie, et nous engager dans cette lutte.
La nouveauté du Christ, c’est aussi la nouveauté d’un Christ qui nous libère de ce qui nous opprime, de ce qui nous aliène, de ce qui nous met en incapacité d’exister. La prédication de Jésus est une prédication qui crée de l’espace, qui fait respirer, qui libère. Cette prédication est une lutte contre le déterminisme, contre la fatalité, contre nos enfermements intérieurs. C’est une prédication qui nous dit que nous ne sommes pas réductibles aux images que nous nous faisons de nous-mêmes. C’est une prédication qui nous dit que nous ne sommes pas prisonniers du regard des autres. C’est une prédication qui nous dit que nous sommes plus que ce que nous croyons être. Que nous sommes ce que Dieu aime. La prédication de Jésus veut nous libérer de ce qui entrave nos libertés. Nos libertés de créer, d’aimer, d’entreprendre, de croire. « Le Verbe s’est fait frère », pour nous tendre la main et nous sortir de toutes nos ornières.
Si je dis cela de Jésus, c’est parce que l’Evangile m’y autorise. « Redressez-vous et relevez la tête, votre rédemption approche », « restez éveillés et priez en tout temps ». Jésus nous invite à cette attention au quotidien, attention au Seigneur qui est là à la porte de nos cœurs, « priez en tout temps », attention à nos voisins, nos frères et sœurs, nos familles, nos communautés, « relevez la tête », attention à nous-même, « restez éveillés ». il est des attentions qui sauvent le monde.
« Le Verbe s’est fait frère », osons la rencontre, osons prendre soin de Dieu qui vient à notre rencontre, osons prendre soin de nosfrères et sœurs, osons prendre soin de nous.
Amen !