Dans deux jours nous fêterons Noël. Alors que dans notre pays, les symboles chrétiens sont parfois bannis, nous vous invitons à découvrir et méditer ce texte sur la crèche de Jean-Paul Sartre.
C’est en 1940, alors qu’ il était prisonnier en Allemagne qu’ il écrivit une pièce de théâtre. Intitulée Bariona, elle avait pour thème le Mystère de Noël.
Avant tout, son but était d’ égayer le réveillon de ses compagnons d’ infortune mais aussi d’ unir les athées et les chrétiens dans une communion fraternelle.
Un événement historique
Bien que se définissant comme un intellectuel athée, le texte de Jean-Paul Sartre sur la Nativité rappelle cependant que :
- l’ événement de la naissance de Jésus est néanmoins historique pour les non-croyants.
Finalement, cette initiative de Sartre se révéla inspirante et donna de l’ élan, à la fois spirituel et existentiel, aux prisonniers.
C’ est ainsi qu’ elle aurait contribué à la conversion d’ un prisonnier.
Faire mémoire de ses racines
Le 22 décembre 2015, Axel Rokvam (cofondateur des Veilleurs) dans la revue Liberté en Politique, écrivait au sujet de ce texte sur la Nativité :
« Fait d’histoire qui nous unit pour les uns et acte de mémoire qui nous fait entrer en communion pour les autres, Noël arrive et nous réunit autour de la Crèche, près du sapin.
En effet, faire mémoire, c’ est porter ce que nous sommes avec l’ origine de ce que nous sommes.
… Chaque événement dans une vie, chaque événement de l’ histoire est une source qui n’ a pas encore donné sa puissance, à commencer par la Crèche. »
Le texte
Vous avez le droit d’exiger qu’ on vous montre la Crèche.
« La voici. Voici la Vierge, voici Joseph et voici l’ Enfant Jésus.
L’ artiste a mis tout son amour dans ce dessin, vous le trouverez peut-être naïf, mais écoutez.
Vous n’avez qu’ à fermer les yeux pour m’ entendre et je vous dirai comment je les vois au-dedans de moi.
La Vierge est pâle et elle regarde l’enfant. Ce qu’i l faudrait peindre sur son visage, c’est un émerveillement anxieux, qui n’apparut qu’ une seule fois sur une figure humaine, car le Christ est son enfant, la chair de sa chair et le fruit de ses entrailles. Elle l’a porté neuf mois. Elle lui donna le sein et son lait deviendra le sang de Dieu. Elle le serre dans ses bras et elle dit : « mon petit » !
Mais à d’autres moments, elle demeure toute interdite et elle pense : « Dieu est là », et elle se sent prise d’une crainte religieuse pour ce Dieu muet, pour cet enfant, parce que toutes les mères sont ainsi arrêtées par moment, par ce fragment de leur chair qu’ est leur enfant, et elles se sentent en exil devant cette vie neuve qu’ on a faite avec leur vie et qu’ habitent les pensées étrangères.
Mais aucun n’a été plus cruellement et plus rapidement arraché à sa mère, car Il est Dieu et Il dépasse de tous côtés ce qu’elle peut imaginer. Et c’est une rude épreuve pour une mère d’avoir crainte de soi et de sa condition humaine devant son fils. Mais je pense qu’ il y a aussi d’autres moments rapides et glissants où elle sent à la fois que le Christ est son fils, son petit à elle et qu ’il est Dieu. Elle le regarde et elle pense : « ce Dieu est mon enfant ! Cette chair divine est ma chair, Il est fait de moi, Il a mes yeux et cette forme de bouche, c’ est la forme de la mienne. Il me ressemble, Il est Dieu et Il me ressemble ».
Et aucune femme n’ a eu de la sorte son Dieu pour elle seule. Un Dieu tout petit qu’ on peut prendre dans ses bras et couvrir de baisers, un Dieu tout chaud qui sourit et qui respire, un Dieu qu’ on peut toucher et qui vit, et c’ est dans ces moments là que je peindrais Marie si j’étais peintre, et j’essayerais de rendre l’ air de hardiesse tendre et de timidité avec lequel elle avance le doigt pour toucher la douce petite peau de cet enfant Dieu dont elle sent sur les genoux le poids tiède, et qui lui sourit. Et voilà pour Jésus et pour la Vierge Marie.
Et Joseph. Joseph ? Je ne le peindrais pas. Je ne montrerais qu’ une ombre au fond de la grange et aux yeux brillants, car je ne sais que dire de Joseph. Et Joseph ne sait que dire de lui-même. Il adore et il est heureux d’adorer. Il se sent un peu en exil.
Je crois qu’ il souffre sans se l’ avouer. Il souffre parce qu’ il voit combien la femme qu’ il aime ressemble à Dieu. Combien déjà elle est du côté de Dieu. Car Dieu est venu dans l’ intimité de cette famille. Joseph et Marie sont séparés pour toujours par cet incendie de clarté, et toute la vie de Joseph, j’ imagine, sera d’ apprendre à accepter.
Joseph ne sait que dire de lui-même : il adore et il est heureux d’adorer !
Une œuvre d’art pour compléter ce texte
Le triptyque de Fritz von Uhde (1848-1911), La sainte Nuit [Die Heilige Nacht, illustre parfaitement le texte de Jean-Paul Sartre.
Le panneau central
La tendresse de Marie
Marie se tient au cœur d’ une remise fouettée par les vents d’hiver. La lueur d’ une lanterne éclaire sa silhouette et l’ auréole d’ une douce lumière.
Par ailleurs, allongée sur un vieux matelas, elle regarde son enfant. Celui-ci est tourné vers elle. Tous deux paraissent unis par le même mouvement d’ amour.
Elle regarde avec tendresse son enfant posé sur une cape couleur de terre et les mains jointes, elle semble déjà le prier.
La discrétion de Joseph
Il se tient à gauche tapi dans l’ombre de l’escalier. Pensif, il est tourné vers l’ extérieur où le ciel se nimbe d’ une présence lumineuse. Elle semble lui dire que cet enfant n’ est autre que le salut autrefois annoncé par Isaïe :
« …Le Seigneur lui-même vous donnera un signe : Voici que la vierge est enceinte, elle enfantera un fils, qu’ elle appellera Emmanuel (c’ est-à-dire : Dieu-avec-nous). De crème et de miel il se nourrira, jusqu’ à ce qu’ il sache rejeter le mal et choisir le bien » ( Is 7, 14-15).
Les panneaux latéraux
Celui de droite nous montre que la lumière vient du ciel. En effet, les anges entourés d’enfants chantent la paix sur terre pour les Hommes de bonne volonté.
Sur celui de gauche, des hommes arrivent. Pauvres, fatigués, ils symbolisent l’ humanité vieillissante qui cependant attend la nouveauté, le renouveau que va apporter au monde cette Naissance.
Pour conclure
Le dépouillement de cette scène campagnarde rayonne de l’ humilité du Dieu qui s’ incarne.
Alors, à la suite de Marie, de Joseph, des anges et des bergers, nous aussi :
- au cœur de nos interrogations dans un monde qui nous paraît bien sombre, apprenons à percevoir la Lumière du renouveau,
- enfin, comprenons que Dieu, bien que nous soyons pécheurs, a choisi en faisant de nous sa demeure, de s’ incarner en nous.
C’ est d’ailleurs ce que nous rappelle saint Paul :
« Mais si le Christ est en vous, le corps, il est vrai, reste marqué par la mort à cause du péché, mais l’ Esprit vous fait vivre, puisque vous êtes devenus des justes. Et si l’ Esprit de celui qui a ressuscité Jésus d’ entre les morts habite en vous, celui qui a ressuscité Jésus, le Christ, d’ entre les morts donnera aussi la vie à vos corps mortels par son Esprit qui habite en vous. » (Rm 8, 10-11).
Georgette
Sources : Je cherche Dieu par Marc Pernot, pasteur Jean-Paul Sartre : « une pièce de Noël très très chrétienne pour un athée – 28 Novembre 2021.»
Prixm : Une splendeur, la nativité peinte par Fritz von Uhde (Dernière mise à jour – 4/7/2022).
Illustrations : Wikimédia Commons – Triptyque la Nuit Sacrée de Fritz von Uhde (1848–1911) – Collection d’ Art d’ État de Dresde – Reproduction d’ une œuvre d’ art du Domaine Public. Image mise en avant : Photo Jean-Lucien G.